Le « haijin », mot japonais signifiant
« personne écrivant des haïku ou haïkaï », se réfère au
«saijiki» se composant dans sa version complète de cinq tomes, un
par saison. Nous pourrions traduire «saijiki» par « almanach
poétique » comportant des mots de saison ou « kigo » et leurs
variantes. C’est en consultant le Livre III intitulé « La tisserande et le
bouvier », traduit et adapté par Alain Kervern, professeur de japonais à
l’université de Brest, que nous n’avons eu de cesse de trouver la signification
et l’origine de ce titre.
Grande fut notre joie de découvrir dans la « Collection
Contes des quatre vents » bilingue-trilingue ce conte populaire de Chine
raconté par Estelle de Parseval et illustré par Christine Gloaguen.
L’histoire du Bouvier et de la Tisserande est avec « Meng
Jiangnū », « Serpent blanc » et « Liang Shambo et Zhu
Yingtai », une des quatre grandes légendes du folklore chinois.
Un jeune orphelin surnommé le bouvier car il gardait toute la
journée un bœuf vivait avec son frère et sa belle-sœur qui le maltraitait. Le
jour vint où son frère lui ordonna de se débrouiller seul, l’enfant ayant
grandi. Il partit accompagné de son unique compagnon et alla se réfugier dans
la montagne. Il réalisa alors que le vieux bœuf s’était mis à lui parler. Pour
premier conseil il l’informe qu’à la tombée de la nuit les tisserandes célestes
viendront se laver dans le lac près de la montagne et déposeront leurs habits
dans le pré. Le bœuf lui demande alors
de s’emparer de la robe de tulle rose afin que sa propriétaire devienne sa
femme. Ce qu’il fit et les fées dérangées se rhabillèrent et s’envolèrent vers
le ciel, laissant leur compagne au sol. C’est ainsi qu’elle devint son épouse,
la Reine Mère céleste étant sa mère. Ils vécurent néanmoins heureux avec leurs
enfants. Peu avant sa mort, le vieux bœuf lui donna un second conseil. Il lui
demanda de garder précieusement sa peau afin de l’endosser en cas de besoin.
C’est alors que la Reine Mère céleste apprit leur histoire et entra dans une
rage folle. Elle partit sur terre pour ramener la tisserande et lui demander
des comptes. Devant l’affliction de ses enfants le bouvier revêtit la peau du
bœuf et monta au ciel à la recherche de son épouse. Afin d’empêcher la réunion
de leur famille la Reine Mère céleste tira une épingle de jade de son chignon
et traça dans le ciel une ligne qui devint un torrent impétueux appelé
aujourd’hui la Voie lactée. La tisserande et le bouvier furent donc séparés à
tout jamais. C’était sans compter sur l’amour profond du couple qui gagna la
sympathie des pies. C’est ainsi que
chaque année le 7 juillet, un nombre incalculable de pies volent au-dessus de
la Voie lactée et forment un pont afin que le bouvier, la tisserande et leurs
enfants se rencontrent.
Qu’en penser ?
Cette jolie légende nous explique la formation de la Voie
lactée et nous ramène aux constellations de l’Aigle, du Cygne et de la Lyre que
tout un chacun peut observer l’été, formant le très célèbre triangle de l’été.
Cette histoire d’amour était déjà évoquée dans un poème du « Shijing »,
« Le Classique des vers », le plus ancien recueil de poésie chinoise.
La rencontre du Bouvier et de la Tisserande est fêtée en Chine, mais aussi au
Japon et en Corée le septième jour du septième mois lunaire. La veille de ce
jour aussi appelé jour du double sept, l’étoile du buffle, Altaïr de la
constellation de l’Aigle et l’étoile de la Tisserande, Véga de la constellation
de la Lyre sont très brillantes et peuvent être facilement observées sur fond
de Voie lactée. Naturellement comme toute légende, il existe des variantes,
mais toujours trois conditions doivent être
réunies pour être reconnue comme telle, les deux personnages doivent
être assimilés aux étoiles du même nom, leur relation est amoureuse et ils sont
réunis chaque été le septième jour du septième mois.
De nombreux autres rapprochements ont été faits avec des cultures plus lointaines
dont on suppose des influences réciproques. Nous pensons en particulier au
« Lac des cygnes » de Tchaïkovsky, avatar moderne, « Les Mille
et Une Nuits » nous font part d’une histoire similaire, l’Inde, nous
remémore l’Apsara (nymphe céleste) et le
roi Pururavas qui sont amoureux et bien d’autres encore.
En ce qui concerne le triangle de l’été, il faut savoir que le
nom des trois étoiles est d’origine arabe : Deneb signifie
« queue » car elle constitue la queue du Cygne. Altaïr signifie
« l’aigle en vol » et Véga « le vautour qui plonge », la
constellation de la Lyre étant vue comme un oiseau.
Les trois constellations évoquées nous ramènent à l’antiquité
grecque.
Hermès façonna la Lyre dans une carapace de tortue. Elle
permit à Orphée de vaincre les puissances des ténèbres avant de gagner le ciel
à sa mort.
Tyndare, roi de Sparte, oublia un jour d’inviter Aphrodite à
un banquet pour les Dieux de l’Olympe. Pour se venger, Aphrodite inspira un
amour fou à Zeus pour Léda, la femme de Tyndare.
L’antiquité nous apporte une réponse concernant la
constellation du Cygne. En effet, Zeus se métamorphosa en cygne pour séduire
Léda qui se baignait dans le fleuve. Poursuivi par un aigle (Aphrodite), il se
jeta dans les bras de Léda. De leur étreinte résultèrent deux œufs gigantesques
qui contenaient Hélène de Troie et Pollux (les gémeaux) pour l’un et
Clytemnestre et Castor pour l’autre.
La constellation de l’Aigle représente Aphrodite métamorphosée
en ce rapace lorsqu’elle poursuivait le cygne qui fécondera Léda.
Nous constatons que ce petit conte dont la simplicité et la
sobriété ne sont plus à démontrer, édité par L’Harmattan en 1992 est certes
destiné à nos chères têtes blondes, mais est voué à un public beaucoup plus
large. Il nous paraît évident que ce livre passionnera tout lecteur avide de
nouvelles découvertes culturelles et amateur de légendes d’ici et d’ailleurs.
Nous avons pour notre part, apprécié cette version bilingue
qui réjouira les sinisants ou autres
amoureux de la culture extrême-orientale, les illustrations de Christine
Gloaguen, quant à elles nous semblant une très belle réussite comme en atteste
la couverture de ce livre pour tous publics.
Nous recommandons par ailleurs aux amateurs de contes en
versions multilingues la très belle « Collection Contes des quatre
vents » bilingue-trilingue créée et dirigée par Nguyên-Nga des éditions
L’Harmattan.