mercredi 30 décembre 2015

De cœur et de chair — Diane Descôteaux





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Diane Descôteaux nous offre un florilège de poésies d’antan dont elle nous régale en sonnets, rondeaux et rondels. Ces termes pouvant paraître étrangers à certains d’entre vous, expliquons-en les nuances afin que vous puissiez les reconnaître et les savourer en feuilletant les pages de ce délicieux recueil qui nous a tant enthousiasmé.

Rondeau
Poème de forme fixe de treize vers de longueur variable, composé sur trois strophes dont les deux dernières reprennent le tout premier hémistiche. Il trouve son apogée aux XVIe et XVIIe siècles. Il a évolué au fil des siècles, rondeau simple codifié par Adam de la Halle (1240-1287) et Guillaume de Machaut (1300-1377). Il donna naissance à différentes formes, le rondinet, le rondeau et le rondeau redoublé dit aussi rondeau parfait dont la forme fut codifiée par Clément Marot et dont Jean de La Fontaine nous donna quelques exemples.

Rondel
Issu du rondeau, le rondel est un poème à forme fixe construit sur deux rimes et comportant un refrain. Il est souvent composé de treize vers octosyllabiques répartis en trois strophes. Le refrain du rondel est formé de ses deux premiers vers que l’on retrouve à la fin de la deuxième strophe puis de son premier vers que l’on retrouve à la fin de la troisième. On peut trouver quelques variantes, le refrain final peut en effet se composer des deux premiers vers, les  strophes comptant parfois un vers de plus ou de moins et certains rondels sont en vers décasyllabiques. Certains rondels doubles sont formés de quatre quatrains.

D’origine française, très en vogue du XIVe au XVIe siècle, il fut repris par quelques poètes en France ou en Europe vers la fin du XIXe siècle, le plus célèbre d’entre eux fut « Le Printemps » de Charles d’Orléans.

Sonnet
Forme de poème de quatorze vers dont la répartition typographique peut varier, deux quatrains et deux tercets ou un seul sizain final et dont le schéma des rimes varie soit librement soit en suivant des dispositions régulières, la longueur du vers n’étant pas fixe en français.

Le sonnet est un genre qui a été pratiqué dans la majeure partie de l’Europe tant dans les poésies syllabiques que rythmiques. Dans la littérature française il fut utilisé par de nombreux poètes : Joachim Du Bellay, Pierre de Ronsard, Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé, José-Maria de Heredia…

La disposition des rimes de Pétrarque (deux quatrains en ABBA ABBA fixes, puis souvent deux tercets CDE CDE, CDC DCD ou CDE DCE) est modifiée par Marot  en ABBA ABBA CCD EED puis, en 1547 par Peletier en ABBA ABBA CCD EDE. Le premier schéma est dit, abusivement, « sonnet italien » ou sonnet de type « marotique », le deuxième, « sonnet français » ou sonnet de type Peletier. En 1552, dans Les Amours, Ronsard adopte les deux dispositions françaises, ce qui a contribué à imposer ces deux formes concurrentes. À la fin de sa vie, alors qu’il avait pris beaucoup de liberté avec la disposition des rimes, notamment dans les Sonnets pour Hélène, Ronsard revient dans ses Derniers Vers, sur les deux modèles français réguliers. Il a tout de même rajouté une difficulté supplémentaire : l’alternance des rimes féminines et masculines. Il emploie également massivement dans ses sonnets ce qui deviendra le vers par excellence de la langue française : l’alexandrin. Sur la mort de Marie en est un flagrant exemple.

Qu’en penser ?

Dans une préface magistrale et enflammée à l’image du recueil, signée « Yolaine & Stephen », le lecteur est averti. Diane Descôteaux nous offre un véritable hymne à l’Amour. Elle nous assène en guise de flèches des sonnets et de la poésie médiévale que certains d’entre nous ont à tort oubliée, en plein cœur. Assurément son prénom n’est pas usurpé, quel bonheur !

Diane n’est-elle pas la fille de Zeus et de Léto, sœur d’Apollon, née dans l’île de Délos ? Au cas où vous en douteriez, ses poèmes sont là pour vous le rappeler. De rime en rime, de sonnet en sonnet effleuré parfois par quelque rondel, elle nous parle d’idéal, d’amour courtois, de Pénélope qui attend son Ulysse, de Don Quichotte en quête d’Absolu.

Nous sommes happé par cette poésie aux sonorités d’autrefois et tant aimée, nous plongeons avec elle au cœur de ses tourments, l’absence, le souvenir, les amours secrètes, le temps qui inexorablement passe.

Cette plume exhale un parfum tant délicat que tenace de sensualité d’où la métaphore n’est pas exclue, elle est son arme tantôt révélatrice tantôt déclarative pour toucher le lecteur en plein cœur.

Diane Descôteaux ne se contente pas d’utiliser une forme de poésie ancienne pour conjuguer l’amour à notre époque, elle s’autorise une évasion dans le XIXe siècle empruntant des accents lyriques avant de nous propulser vers le moyen-âge. Ses mots, rimes, et musicalité s’unissent pour une exploration des temps où la mythologie est son invitée. Nous ne nous en plaindrons pas.

Heureux Serge Fortin à qui la plupart des poèmes sont dédiés, Jean Fortin n’étant pas en reste, que n’avons-nous, pauvre lecteur, une déesse pour nous chanter l’amour, la cithare au bout des doigts ? N’entendez-vous pas s’élever de ces pages quelques notes cristallines issues de la musique grecque antique que nous croyions disparue depuis quelques siècles déjà ?

Notons que l’illustration est de Robert Roy et l’infographie de Pascal Traversy.

Le recueil De cœur et de chair est assurément un cadeau à offrir ou à s’offrir. Il plaira  à tous les amoureux de la poésie qu’elle soit contemporaine ou pas. Nous restons convaincu que quelques plumes à la lecture de ces vers finement ciselés se réveilleront. Il vous donnera certainement envie de découvrir ou redécouvrir nombre de nos poètes classiques qui dorment sur les rayonnages de vos bibliothèques.


Çà et là

ANGE OU DÉMON


Cher enfant de l’automne, ô prince des ténèbres,
Un seul de vos regards me glace les vertèbres!
Qu’êtes vous: l’ange ou le démon?
Peu m’importe duquel il se fait mandataire,
Je veux suivre les pas de ce loup solitaire
Dans l’Éden ou l’Armageddon.

Je me brûle à l’éclat de vos beaux yeux d’ébène!
Sont-ce les feux du ciel ou ceux de la géhenne
Qui leur donnent cette splendeur?
Or quel noir océan mouille votre encolure
Et quel fleuve libère, en votre chevelure,
Ces flots houleux chargés d’odeur?

Vous êtes, de mon sang, la principale artère,
La source qui m’abreuve et qui me désaltère,
Le fruit dedans lequel je mords
Et, qu’il soit bien ou mal que de pâlir d’envie
D’être vôtre et d’offrir un fragment de sa vie,
Je vous aime ainsi sans remords…

Dédié à Jean Fortin


———


NOS AMOURS CONJUGUÉES


Voguant sur l’eau du ciel, pareil à des vaisseaux,
Les nuages, fardés d’écarlate à la brune,
Hissent leurs pavillons et leurs voilures prune
Qui s’enflent sous la brise aux frémissants naseaux.

Les vertes frondaisons se joignent en arceaux
Au-dessus de nos pas qu’éclaire un rai de lune;
Puis ton ombre et la mienne ensemble n’en font qu’une,
N’opposant qu’une entrave aux lumineux faisceaux.

La nature et la nuit semblent s’être liguées
Afin de découvrir nos amours conjuguées,
Pleines de fantaisie à la faveur du soir.

Je ne puis leur cacher la flamme qui demeure
Éternelle et brûlante au creux de l’encensoir
D’un cœur qui t’appartient jusqu’à ce que je meure…

Dédié à Serge Fortin

Mentions légales
Dépôt légal — 4e trimestre 2006
ISBN 2-9802156-5-1
Éditions Touladi
Réédition 2014

Comment se procurer le livre ?
De cœur et de chair est exclusivement disponible sur le site de Diane Descôteaux. En cliquant sur le lien suivant vous serez directement mis en relation avec le site marchand où d’autres extraits vous seront proposés :


mercredi 23 décembre 2015

Mille ans de littérature japonaise Anthologie du VIIIe au XVIIIe siècle Ryôji Nakamura et René de Ceccatty




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Les Éditions Philippe Picquier nous proposent une édition revue de celle publiée en deux tomes en 1998. Il s’agit de textes japonais, écrits entre le VIIIe et le XVIIIe siècle et traduits par Ryôji Nakamura et René de Ceccatty. Dans l’avertissement faisant office de préface les auteurs nous précisent que l’évolution de la littérature japonaise est irrégulière et discontinue, parcourue de blancs, d’arrêts de production. Les périodes fécondes étant les XIe, XIIIe et XVIIe siècles et les périodes répétitives ou régressives survenant notamment au  XVIe siècle.

Il est essentiel de considérer la littérature classique japonaise comme un tout et non comme un prologue de la littérature japonaise. Elle a défini son propre langage et sa propre philosophie.

Ce livre nous permet donc de découvrir tous les genres qui ont inspiré les écrivains classiques, l’accent étant mis sur les textes en prose.

L’objectif des auteurs étant de rassembler des textes nouveaux dans une traduction inédite, vous ne trouverez pas dans cet ouvrage Notes de chevet, Heures oisives, Contes de pluie et de lune.

Notons que les textes présentés ne sont pas des extraits, exception faite des romans longs pour lesquels l’intrigue peut être suivie sans difficulté.

Les auteurs nous offrent, en appendice, deux textes contemporains : Contes de Tôno (Tôno monogatari) et l’Iki (Iki no kôzo).

Cette édition revue (dépôt légal : octobre 2005) nous offre donc les œuvres suivantes :

— Des journaux poétiques tels que Journal de Tosa et Journal d’Izumi shikibu.

L’éphémère (Kagerô) cinquante-deuxième chapitre de Genji monogatari qui en comporte cinquante-quatre.

— Les cent poèmes, célèbre anthologie de waka.

Contes du Moyen Age dont six contes extraits de Konjaku monogatari, Uji shûi monogatari, Tsutsumi chûnagon monogatari.

— Écrit de l’ermitage (Hôjôki) de Kamo no Chômei, fils d’un prêtre shintoïste qui suite à un échec dans sa carrière de courtisan abandonna le monde pour se faire moine, ce livre révèle le reste de sa vie.

— La Réserve visuelle des événements dans leur justesse (Shôbôgenzô) écrit par Dôgen (1200-1253) qui est qualitativement et quantitativement l’œuvre maîtresse de cet auteur bouddhiste. Constituée de quatre-vingt-sept chapitres, cette somme doctrinale est la première et peut-être la seule œuvre japonaise de dimension véritablement conceptuelle.

— Soliloque (Towazugatari) a été retrouvé en 1950 seulement dans une copie, incomplète du XVIIe siècle. L’auteur, désignée sous le surnom de Gofukakusain nijô, c'est-à-dire « Dame de la Deuxième Avenue, concubine de l'Empereur Retiré Gofukakusa », est née en 1258 et morte probablement autour de 1320. Son œuvre est une autobiographie en cinq tomes, dont les trois premiers sont situés à Kyôto, à la cour impériale, et les deux derniers sont consacrés à un voyage à travers le Japon, sur le modèle du poète pèlerin Saigyô (1118-1190).

La margelle du puits (Izutsu), pièce de théâtre nô suivi du Conte de la margelle du puits extrait de Isé monogatari.

— Un homme amoureux de l’amour (Kôshoku ichidai otoko), premier roman et le plus représentatif d’Ihara Saikaku (1642-1693). Avant de se consacrer à des romans, Saikaku écrivait des haikai renga, renga prosaïques d’inspiration et « libres ». Mais il abandonna ce genre pour se lancer, avec Un homme amoureux de l’amour, dans celui de l’ukiyo sôshi (« écrit du monde flottant »), que l’on peut considérer comme romanesque. Ce fut un véritable renouveau pour la littérature classique qui stagnait dans un formalisme stérile : elle allait enfin tenir compte de la société réelle, en se détachant de l’esthétisme. Cette entreprise ne fera pas école et il faudra attendre le XXe siècle pour voir réapparaître ce type de réalisme romanesque.

— La Mort des amants à Sonezaki (Sonezaki shinjû), pièce de ningyô jôruri (théâtre de poupées) écrite par Chikamatsu Monzaemon (1653 ?-1724). Chikamatsu est le dramaturge de l’époque féodale, comme ses contemporains Saikaku et Bashô sont les représentants respectifs du roman et de la poésie.

— Entretiens de Kyorai  — Propos du maître Bashô (Kyoraishô — Senshihyô) suivi du renga : En ville… extrait de La Pèlerine du singe (Sarumino, Ichinakawa no maki). L’ouvrage est, comme le titre l’indique, de Mukai Kyorai (1651-1704), qui fut un des disciples les plus représentatifs de Bashô. Il l’aurait rédigé dans les dernières années de sa vie. Bashô est le véritable auteur de la partie présentée dans cet ouvrage, il est le poète de génie qui, comme Zeami l’avait fait pour le nô, a donné au haikai une dimension artistique.

Le lecteur pourra découvrir en fin d’ouvrage un glossaire bien fourni ainsi qu’un tableau chronologique et une bibliographie qui lui seront fort utiles.

Après avoir parcouru cette anthologie, qui se veut avant tout un panorama cohérent de la variété des genres littéraires déployés durant un millénaire au Japon, au rythme qui lui convient, le lecteur occidental appréhendera plus aisément la littérature japonaise qui lui semblait auparavant aux antipodes de sa culture. S’il est poète de tanka ou de haiku, il pourra y puiser l’inspiration nécessaire et s’approcher au plus près de cette poésie si éloignée de la sienne.


Çà et là

Ukon ouvrit aussi la réponse qu’Ukifuné avait rédigée la veille :

« Il suffit d’espérer me rencontrer plus tard
Ne vous égarez pas dans un rêve du monde.

Apprenez dans l’écho d’une cloche affaiblie
Et de pleurs étouffés mes jours interrompus. »

Ukon sanglota irrépressiblement : « C’était donc cela, l’origine de ses angoisses. Mais pourquoi ne pas s’être confiée à moi ? »

———

Elle reçut de son voisin ce poème :

La margelle du puits la margelle du puits
Me sert de toise et j’ai grandi sans mon amie.

Elle répondit :

Jadis pareils aux tiens mes cheveux ont poussé
Pour qui d’autre que toi dois-je les relever ?

———

Devant la guirlande du Nouvel An, je voudrais entendre la première annonce d’Isé.
BASHÔ

Dans la lettre qu’il m’a écrite de Fukagawa, j’ai lu : « Outre la multiplicité de commentaires qu’a suscités ce poème. Quelle est ton opinion ? »

J’ai répondu : « Par la substitution de l’annonce d’Isé à la capitale, et au pays natal, le poète, à l’époque dépassée de la cérémonie du Nouvel An, se remémore l’ère du dieu et le désir d’entendre la nouvelle répond aux mouvements d’un cœur qu’habite le dieu du voyage. »

Il m’a répondu : « Je ne me démarquerai pas de ton opinion. Ce jour-là, je me suis rappelé la solennité de ce lieu divin et je me suis appuyé sur le poème du moine Jien. Je me suis contenté d’ajouter le mot première. »